Saint BÈDE le Vénérable, moine de Jarrow (735)

  Fête : 27 mai

Le célèbre dom Mabillon, citant Bède comme un parfait modèle de savoir dans l'état monastique, s'exprime ainsi : « Qui s'est plus appliqué que lui à toutes sortes d'études et même à enseigner les autres ? Qui fut cependant plus attaché aux exercices de piété et de religion ? A le voir prier, il semblait qu'il n'étudiait pas ; à voir le nombre de ses ouvrages, il semblait qu'il ne fit autre chose que d'écrire ». Camdem l'appelle « une lumière singulièrement éclatante »; et Léland, « la gloire, le plus bel ornement de la nation anglaise, l'homme le plus digne qui fût jamais de jouir d'une réputation immortelle ». Selon Guillaume de Malmesbury, il est plus facile de l'admirer en silence que de trouver des expressions proportionnées à son mérite.

Bède surnommé « le Vénérable », ne doit point être confondu avec un autre Bède plus ancien, qui était moine de Lindisfarne. Il naquit, en 673, dans un village qui, peu de temps après, fit partie des biens du monastère de Jarrow.

Saint Benoît Biscop ayant fondé, en 674, l'abbaye de Saint-Pierre à Weremouth, près de l'embouchure de la Wère, fonda, en 680, celle de Saint-Paul à Girvum ou Jarrow, sur le bord de la Tine. Il régnait une si belle harmonie entre les deux maisons, qu'elles étaient souvent gouvernées par le même abbé, et qu'on les désignait sous le nom commun de « Monastère de Saint-Pierre et de Saint-Paul ». Le saint fondateur, qui avait autant de savoir que de piété, procura à chaque communauté une excellente collection de livres qu'il avait apportés de Rome et des pays étrangers. Bède lui ayant été confié par ses parents dans sa septième année, il se chargea du soin de le former à la vertu et aux sciences ; il l'envoya dans la suite à Jarrow, afin qu'il y continuât ses études sous l'abbé Géolfrid, à Jarrow, dont il ne devait plus sortir.

A peine était-il arrivé, qu'une peste cruelle vint fondre sur le monastère ; elle enleva tous les moines qui savaient chanter en chœur, excepté l'abbé Céolfrid et le jeune Bède ; tous deux continuèrent à célébrer de leur mieux l'office canonial, en entier, avec une exactitude obstinée, jusqu'à ce que de nouveaux confrères leur fussent envoyés.

Bède nomme, parmi les maîtres habiles, dont il prit les leçons, le moine Trumbert, disciple de saint Chad, évêque d'York, puis de Litchfield, lequel avait établi une école célèbre dans le monastère de Lestingan, au comté d'York. Le chant ecclésiastique lui fut enseigné par Jean, qui, de grand-chantre de Saint-Pierre du Vatican, était devenu abbé de Saint-Martin de Rome, et que le pape Agathon avait envoyé en Angleterre avec saint Benoît Biscop. Il apprit le grec de Théodore, archevêque de Cantorbéry, et de l'abbé Adrien, qui rendit cette langue si familière à plusieurs anglais, qu'on eût dit qu'elle était leur langue maternelle. Bède en donne pour exemple Tobie, évêque de Rochester. S'il eût été moins modeste, il aurait pu se citer lui-même. On voit en effet, par son Ars metrica, et par ses autres ouvrages, qu'il savait parfaitement la langue grecque. Les vers que nous avons de lui montrent aussi qu'il était bon poète pour le siècle où il vivait ; mais ses sermons, ainsi que ses commentaires sur l'Ecriture, prouvent qu'il fit sa principale étude de la méditation des livres divins et des écrits des Pères.

La science et la piété suppléant en lui au défaut de l'âge, l'abbé Céolfrid voulut qu'il se préparât aux saints Ordres, quoiqu'il n'eût encore que dix-neuf ans. Il fut ordonné diacre en 691, par saint Jean de Béverley, alors évêque d'Exham, dans le diocèse duquel l'abbaye de Jarrow était située. Il continua ses études jusqu'en 702, époque à laquelle il reçut la prêtrise des mains du même prélat. Il est appelé dans un ancien livre « le prêtre de la liturgie », parce qu'il était chargé de chanter tous les jours la liturgie conventuelle.

Les moines de Wérémouth et de Jarrow, à l'exemple de saint Benoît Biscop, donnaient un certain temps au travail des mains. Ce travail consistait à battre et à vanner le blé, à prendre soin des bestiaux, à bêcher la terre dans le jardin, à faire le pain et à préparer ce qui devait servir de nourriture, à la communauté. Bède travaillait avec ses frères ; mais sa principale occupation était d'étudier, d'écrire, de prier et de méditer. Souvent il copiait des livres. Aussitôt après qu'il eut été ordonné prêtre, il prit la plume pour l'honneur de la religion. Bientôt il se vit à la tête d'une école nombreuse, d'où sortirent d'excellents sujets mais il s'attachait particulièrement à l'instruction des moines, qui étaient au nombre de six cents. Il nous apprend lui-même qu'il se livrait tout entier à la méditation de l'Ecriture sainte, et qu'après avoir chanté les louanges de Dieu à l'église et rempli ce que la Règle prescrivait, son plus grand plaisir était d'apprendre, d'enseigner et d'écrire. « Depuis le temps où je reçus la prêtrise » ,dit-il, « jusqu'à celui où j'écris ceci (jusqu'à la soixante-neuvième année de son âge), j'ai composé plusieurs livres pour mon utilité et pour celle des autres. J'ai puisé dans les ouvrages des Pères, et j'ai fait quelquefois des additions à ce que j'y ai trouvé ». Il donne une liste de quarante-cinq ouvrages dont il était pour lors auteur, et dont la plupart avaient pour objet d'éclaircir le texte de l'Ancien et du Nouveau Testament. Dans la suite, il sortit encore de sa plume diverses productions estimables.

Bède s'exerça avec succès sur toutes les parties de la littérature. Il écrivit sur la philosophie, sur l'astronomie, sur l'arithmétique, sur le calendrier, sur la grammaire, sur l'histoire ecclésiastique, etc. Les œuvres de piété composent cependant la principale partie de ses écrits. On chercherait en vain dans ses livres les ornements de la rhétorique ; on y trouve en récompense beaucoup de précision et de clarté ; il y règne une aimable simplicité, avec un ton de franchise, de piété et de zèle qui intéressent vivement le lecteur. La candeur et l'amour de la vérité caractérisent visiblement ses livres historiques et si l'on dit qu'il a porté quelquefois la crédulité trop loin, on doit au moins convenir qu'aucune personne judicieuse ne révoquera jamais en doute sa sincérité. Souvent il s'est contenté d'abréger ou de ranger dans un ordre méthodique les commentaires de saint Augustin, de saint Ambroise, de saint Jérôme, de saint Basile, etc., sur l'Ecriture ; mais il n'en a point agi de la sorte pour éviter le travail, ni par défaut de génie, comme l'ont prétendu quelques modernes. Son but était de s'attacher plus étroitement à la tradition, en interprétant les livres saints. Dans ce que les Pères avaient laissé à faire, il suit toujours leurs principes, de peur de s'écarter de la tradition dans la moindre chose. Les meilleurs juges avouent que, dans les commentaires qui sont entièrement de lui, il ne le cède point en solidité et en jugement aux plus habiles d'entre les Pères.

Bale, carme apostat, l'ennemi déclaré des moines et des Pères, qui fut évêque d'Ossory sous Edouard VI, et qui mourut chanoine de Cantorbéry sous la reine Elisabeth, n'a pu s'empêcher de faire de Bède le plus magnifique éloge, il va même jusqu'à assurer qu'il l'emporte sur saint Grégoire le Grand par l'éloquence et la richesse de son style, et que l'on trouve dans ses écrits presque tout ce qui mérite d'être lu dans l'antiquité. Pitts avance que l'Europe n'a peut-être point produit un homme de lettres qui lui fût comparable, et que, même de son vivant, ses ouvrages avaient tant d'autorité, qu'un concile ordonna de les lire publiquement dans les églises.

Folchard, qui, après avoir été moine de l'église de Christ, à Cantorbéry, et de Sithiu, devint abbé de Thorney, parle ainsi de Bède, dans sa vie de saint Jean de Béverley, citée par Léland : « On est surpris, lorsqu'on considère jusqu'à quel point ce grand homme réussit dans toutes les sciences auxquelles il s'appliqua. Il vainquit toutes les difficultés qui s'y rencontrent, et mit ses compatriotes en état de se former de justes idées des choses. Les anglais renoncèrent à la grossièreté de leurs ancêtres ; ils se civilisèrent et se polirent par l'étude des lettres. Non seulement Bède leur enseigna, durant sa vie, la route qui conduit au vrai savoir ; il a encore laissé, pour l'instruction de la jeunesse, des écrits où l'on trouve une espèce d'encyclopédie ou de bibliothèque universelle. Il expliqua presque toute la Bible, dit Fuller ; il traduisit en anglais les Psaumes et le Nouveau Testament ; et c'est surtout à lui qu'on peut appliquer ces paroles de l'Apôtre : « Il brilla comme une lumière au milieu d'une génération ignorante et perverse ».

Ce qu’il y eut de plus admirable dans Bède, c'est qu'il anima toutes ses études d'un rare esprit de piété, et qu'il fit toujours un saint usage de ses connaissances. Il s'est peint lui-même en traçant le portrait de saint Chad. Comme lui, il étudia l'Ecriture, pour se mettre en état de méditer assidûment les mystères de la foi, pour se pénétrer des saintes maximes du christianisme, pour remplir son cœur de l'amour de toutes les vertus : aussi sa vie fut-elle toujours un modèle que les plus parfaits pouvaient se proposer. On voulut le faire abbé, mais son humilité le porta à refuser cette dignité.

Le pape Sergius avait une estime singulière pour notre saint. Il lui écrivit une lettre que nous avons encore, vers le temps où il fut ordonné prêtre. Dans cette lettre, il l'invitait en termes fort honorables à venir à Rome, afin qu'il eût la satisfaction de le voir et de le consulter sur des affaires importantes. On ne saurait trop admirer la modestie de Bède, qui s'est bien gardé dans son histoire de nous faire connaître cette circonstance. Au reste, il n'alla point à Rome, sans toutefois qu'on sache la raison qui l'en empêcha. Il nous assure lui-même qu'il ne sortit jamais de son monastère pour voyager, au moins pour faire des voyages considérables. Sa réputation lui attira des visites de tout ce qu'il y avait de plus grand dans la Bretagne, entre autres celle du pieux roi Céolwulph.

La vie glorieuse et pacifique de Bède ne fut pas sans nuage. La jalousie suit le mérite comme l'ombre le soleil. Quelques esprits étroits allèrent jusqu'à l'accuser d'hérésie, parce que dans sa Chronologie il avait combattu l'opinion, alors répandue, que le monde ne devait durer que six mille ans, et parce qu'il avait semblé adopter pour l'Incarnation une autre date que celle communément reçue. Cette accusation fit du chemin et il en était question jusque dans les chansons à boire des paysans. Bède, qui avait toujours mis un soin scrupuleux à se maintenir dans les limites de l'orthodoxie, fut surpris autant qu'indigné de cette imputation : il écrivit une lettre apologétique vive et fière, qui sans doute fit cesser tous ces bruits.

Egbert, frère d'Eadbyrht, roi du Northumberland, avait été disciple de Bède. Il invita son maître à venir à York, dont ce prince fut sacré évêque en 734. Le saint se rendit à cette invitation. Il enseigna quelques mois à York, après quoi il voulut retourner dans son monastère. L'école qu'il établit dans cette ville devint très florissante, et l'on dit qu'il avait lui-même formé le célèbre Alcuin, qui en fut le plus bel ornement.

Bède mourut peu de temps après qu'Egbert eut été élevé sur le siège épiscopal d'York. Avant sa mort, il écrivit à son disciple une lettre où il lui donnait d'excellents avis. « Souvenez-vous », lui disait-il, « que la partie la plus essentielle de votre devoir est de mettre partout des prêtres éclairées et vertueux ; de vous appliquer avec un zèle infatigable à nourrir vous-même votre troupeau ; de faire en sorte que le vice disparaisse ; de travailler à la conversion des pécheurs ; d'avoir soin que tous les diocésains sachent l'Oraison dominicale et le Symbole des apôtres, et qu'ils soient parfaitement instruits des différents articles de la religion. Ne négligez rien pour que les laïques qui mènent une vie pure communient tous les dimanches, ainsi que toutes les fêtes des apôtres et des martyrs, comme vous l'avez vu pratiquer à Rome ; mais avertissez les personnes mariées qu'elles doivent se préparer à la communion par la continence ».

Cuthbert ou Antoine, un des disciples de Bède, et auquel ce grand homme dédia son livre de Arte metrica, nous a laissé une relation de la mort de son cher maître ; elle est dans une lettre qu'il écrivit au moine Cuthwin, son compagnon d'études. Ce Cuthbert fut depuis abbé de Jarrow, et il succéda dans cette dignité à Huethbert, autrement appelé Eusèbe, qui avait été aussi disciple de Bède.

La lettre de Cuthbert mérite d'être rapportée ici ; nous n'y ferons que de légers retranchements.

« Cuthbert à Cuthwin, son cher condisciple en Jésus-Christ, salut éternel en Notre-Seigneur. J'ai reçu avec beaucoup de plaisir le petit présent que vous avez bien voulu m'envoyer. Votre lettre m'a causé aussi une grande satisfaction, en ce que j'y ai trouvé ce que je désirais ardemment, savoir que vous aviez eu soin de prier et de célébrer des liturgies pour Bède, ce vrai serviteur de Dieu, notre père et notre maître. Par une suite de l'amour que je lui porte, je vous envoie en peu de mots une relation de la manière dont il est sorti de ce monde, relation que je sais que vous attendez de moi.

Il fut pris d'une difficulté de respirer, sans toutefois ressentir de douleur, environ deux semaines avant Pâques. Il resta dans cet état, conservant sa gaieté ordinaire, et rendant grâces à Dieu nuit et jour, même à s les heures, jusqu'à la fête de l'Ascension du Seigneur qui était le 26 de mai.

Après nous avoir donné des leçons, selon sa coutume, il employait le reste du jour à chanter les psaumes. Il passait aussi toutes les nuits dans la joie et les actions de grâces, n'interrompant cet exercice que par un sommeil très court. Lorsqu'il se réveillait, il se remettait à prier les mains étendues vers le ciel. Ô homme véritablement heureux. Il chantait ces paroles de saint Paul : « C'est quelque chose d'effroyable que de tomber dans les mains du Dieu vivant », et plusieurs autres passages de l'Ecriture. Comme il était fort versé dans notre langue, il récitait certaines choses en vers anglais ; ces paroles, par exemple : « Un homme sage ne saurait trop considérer ce qu'il a fait de bien et de mal avant de sortir de cette vie ». Il chantait aussi des antiennes, conformément à ce qui se pratique parmi nous ; celle-ci entre autres : « Ô roi de gloire, Dieu des armées, qui est monté aujourd'hui au-dessus de tous les cieux ! ne nous abandonnez pas comme des orphelins sans défense, mais envoyez-nous l'Esprit du Père, l'Esprit de vérité que vous nous avez promis. Alleluia ». En prononçant ces paroles, « ne nous abandonnez pas », ses yeux versèrent une grande abondance de larmes. Une heure après, il répéta la même antienne, et nous mêlions nos larmes aux siennes. Nous lisions et nous pleurions alternativement, ou plutôt nous ne lisions jamais sans pleurer.

Nous passâmes ainsi le temps qui s'écoula depuis le commencement de sa maladie jusqu'à la fête de l'Ascension. Pour lui, il était toujours comblé de joie, et ne cessait de remercier Dieu de ce qu'il lui avait envoyé son infirmité. Souvent il répétait ce passage : « Dieu châtie les enfants qu'il aime », et autres semblables. On lui entendait dite aussi ces paroles de saint Ambroise : « Je n'ai point vécu de manière à rougir de vivre parmi vous, et je ne crains point de mourir parce que nous avons un Dieu qui est la bonté par essence ».

Les leçons qu'il nous donnait, et le chant des psaumes ne l'empêchèrent point de composer deux ouvrages fort utiles à l’Église : il traduisit en anglais l’Évangile selon saint Jean, et donna un extrait des livres des notes de saint Isidore, évêque. « Je ne veux pas », disait-il au sujet du second ouvrage, « que mes disciples lisent des mensonges après ma mort, ni qu'ils se consument en des travaux inutiles ».

Le mardi avant l'Ascension, il se sentit une difficulté de respirer plus grande qu'à l'ordinaire. On remarqua un peu d'enflure à ses pieds. Il passa cependant le jour avec gaieté ; il dicta dans son école, en disant de temps en temps : « Hâtez-vous ; que sais-je si je vivrai encore longtemps, et si le Seigneur ne m'enlèvera pas bientôt du milieu de vous ? » D'après ces paroles, nous ne doutâmes point qu'il ne sût le moment de sa mort. Il passa la nuit en actions de grâces. Le lendemain matin, il nous dit d'écrire promptement ce que nous avions commencé ; ensuite, selon ce qui se pratique à pareil jour, nous marchâmes avec les reliques des saints jusqu'à la troisième heure. Alors un d'entre nous lui dit : « Cher maître, il nous manque encore un chapitre ; serait-ce vous incommoder que de vous faire de nouvelles questions ? » – « Non, répondit-il. Prenez votre plume, et écrivez vite ; ce que fit le disciple.

A la neuvième heure, il me chargea d'aller chercher tous les prêtres du monastère. Lorsqu'ils furent venus, il leur distribua du poivre, des mouchoirs et de l'encens qu'il avait dans une petite boîte, les priant de se souvenir de lui devant Dieu, et de célébrer des liturgies à son intention : ce que tous lui promirent. Il n'y eut personne qui ne pleurât, quand il annonça que bientôt on ne le verrait plus ; mais chacun se réjouit en lui entendant dire : « Il est temps que je retourne vers Celui qui m'a donné l'être, en me tirant du néant. Mes jours ont été longs : mon Juge en a prévu et fixé le nombre. Le moment de ma liberté approche. Je désire être affranchi des liens du corps, et de me réunir à Jésus-Christ. Oui, mon âme désire voir Jésus-Christ son roi dans l'éclat de sa gloire ». Il ajouta beaucoup d'autres choses pour notre édification.

« Wilberth, celui de ses disciples dont j'ai parlé plus haut, lui dit le soir : « Il y a encore une sentence qui n'est point écrite ». « Vous n'avez qu'à l'écrire », répondit-il. Son disciple lui ayant répliqué que c'était fait, il ajouta : « Vous avez bien parlé. Tout est fini. Soutenez ma tête dans vos mains. Je veux avoir la satisfaction de m'asseoir vis-à-vis l'oratoire où j'avais coutume de prier, afin d'invoquer ainsi mon Père céleste ». S'étant mis sur le plancher de sa cellule, il dit : « Gloire au Père, et au Fils, et au saint Esprit » ; après quoi il s'endormit paisiblement dans le Seigneur. Tous ceux qui ont assisté à sa mort assurent qu'ils ne lui virent jamais plus de ferveur qu'en ce jour...»

Ranulph Higden ajoute les particularités suivantes sur la mort du serviteur de Dieu. « L'enflure de ses pieds l'avertissant qu'il approchait de sa dernière heure, il reçut l'onction des malades, puis le saint Viatique, le mardi d'avant l'Ascension ; il donna ensuite le baiser de paix à tous ses frères, et les conjura de prier pour lui après sa mort. Le jour de la fête de l'Ascension, s'étant couché sur un cilice étendu à terre, il demanda la grâce du Saint-Esprit. Il continua de prier jusqu'à son dernier soupir ».

Il mourut en 735, à l'âge de soixante-douze ans le mercredi au soir, qui était le 26 mai, après les premières Vêpres de l'Ascension. C'est pour cela que plusieurs auteurs mettent sa mort à la fête de l'Ascension, qui commençait aux premières Vêpres chez les Saxons.

Dans quelques églises d'Angleterre, saint Bède était honoré le 26 mai, en sorte toutefois qu'on ne faisait que mémoire de lui dans l'office de saint Augustin. Dans d'autres églises, on célébrait sa fête le 27 mai, jour auquel son nom se trouve dans le martyrologe romain. Dans la constitution que Jean Alcock, évêque d'Ely, publia pour les fêtes de son diocèse, il est ordonné que l'on dira l'office du bienheureux Bède, le 13 mars, le jour de sa mort étant occupé par l'office de saint Augustin.

Alcuin dit que la sainteté de Bède fut attestée, après sa mort, par la voix du ciel, et qu'un malade fut tout à coup guéri en touchant ses reliques. Saint Lulle, archevêque de Mayence, écrivit à Cuthbert (celui-là même dont nous avons parlé plus haut), lequel était alors abbé de Wérémouth et de Jarrow, pour lui demander une copie des ouvrages de Bède. En même temps il lui envoya un manteau pour son usage, avec une veste de soie pour couvrir la châsse du saint. Une veste de soie était un présent qu'on faisait alors aux personnes qualifiées, sans en excepter les rois.

Bède fut enterré à Saint-Paul de Jarrow, où il y avait un porche au nord qui portait son nom. En 1020, ses reliques furent portées à Durham, où ayant été renfermées dans un coffre de bois, on les déposa dans la châsse de saint Cuthbert. En 1155, Hugues, évêque de Durham, les mit séparément dans une châsse magnifique enrichie d'or, d'argent et de pierreries, laquelle fut pillée lors de la destruction des monastères. Les ministres d'Henri VIII jetèrent sur le fumier ce qui restait des ossements de Bède. Le sanctuaire monastique de Jarrow vers lequel se tournait le regard mourant de Bède, subsiste encore en partie, s'il faut en croire des archéologues fort autorisés. Son souvenir y a survécu aux vicissitudes du temps, on y montre encore un vieux siège en bois de chêne qu'on prétend lui avoir servi. C'est la seule relique matérielle qui subsiste de ce grand saint. Speed dit dans son Théâtre de la Bretagne, qu'au temps où il écrivait, on voyait le tombeau du vénérable, fait de marbre, dans la chapelle de Notre-Dame, qui était à l'ouest de l'église de Durham. Smith en a fait graver les ruines, qui subsistent encore aujourd'hui, ainsi que l'autel de saint Cuthbert et de saint Bède, d'après les peintures d'une croisée qui était à l'est. Les moines de Glastonbury prétendaient avoir les reliques de notre Saint mais ils n'en avaient sans doute qu'une partie. Selon saint Boniface, Bède fut la lumière de l’Église britannique. Saint Lulle, Alcuin, etc., lui donnent de grandes louanges pour sa science et sa sainteté. Lanfranp et plusieurs autres écrivains l'appellent le docteur des anglais, le père de la science anglaise


Sources :

« Saint Bède, Père de l'Église », dans Paul Guérin, Les Petits Bollandistes : du 19 mai au 13 juin, t. VI, Paris, Bloud et Barral, 1876, p.241 (en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30736h/f247)