Saint Jérôme, en écrivant lui-même la vie de cette illustre vierge romaine, a immortalisé sa mémoire ; laissons-lui la parole :
« Je veux taire qu'elle fut bénie de Dieu dès le sein de sa mère ; que son père, dans une vision céleste, qu'il eut durant son sommeil, la vit sous la forme d'un globe de verre plus brillant et plus pur que tous les miroirs des mondains et qu'étant encore, pour ainsi dire, dans les langes, elle fut avant l'âge de dix ans consacrée au ciel et destinée à jouir de la béatitude éternelle. Laissons à la grâce les faveurs que cette sainte n'a pu mériter par son travail. Dieu, qui dispose de tout par sa sagesse infinie, les dispense comme bon lui semble. Il sanctifie Jérémie avant sa naissance, il fait tressaillir Jean-Baptiste dans le sein d’Élisabeth, et il choisit Paul, dans ses décrets éternels, pour porter aux Gentils l’Évangile de son Fils, parce que tel est son bon plaisir. Mais venons à ce qu'elle a entrepris, à ce qu'elle a fait et à ce qu'elle a consommé après douze ans par le secours de cette même grâce.
Elle s'enferma, par le mouvement de l'Esprit-Saint, dans une cellule, où elle persévéra avec beaucoup de constance jusqu'à la fin de sa vie. Quelque étroit que fût ce lieu, elle y jouissait de toute l'étendue du paradis. La même place lui servait pour son oraison et pour y prendre son repos. Ses délices étaient de jeûner, l'abstinence faisait sa réfection ordinaire, et quand elle se voyait obligée, plutôt par une nécessité commune à tous les hommes, que pour contenter son appétit, de prendre quelque nourriture, du pain avec du sel et de l'eau froide étaient tout son aliment, et elle en prenait si peu, que sa faim en était plutôt excitée qu'apaisée. Dès qu'elle eut résolu d'embrasser ce genre de vie et de se consacrer tout entière à Dieu, elle se défit, sans attendre le consentement de ses parents, de ses joyaux et de ses chaînes d'or pour en acheter une robe simple et modeste, qu'elle ne pouvait obtenir de sa mère et, par ce pieux commerce, elle fit voir à ses parents qu'ils ne devaient pas attendre une vie mondaine de celle qui condamnait ainsi le siècle par ses habits. Elle vécut si solitaire et si éloignée de la conversation des créatures, qu'elle ne paraissait jamais en public. Elle évita toujours de parler aux hommes ; et, ce qui est admirable, elle se privait même de voir une sœur qu'elle aimait tendrement.
Elle employait ses mains à quelques ouvrages, pour ne point demeurer oisive mais, pendant son travail, elle s'entretenait avec son Époux céleste par la prière, ou elle publiait ses louanges en récitant des psaumes avec ferveur. Lorsque la solennité des fêtes, ou quelque dévotion particulière la portait à visiter les églises des saints Martyrs, elle s'y rendait sans être connue, et sa plus grande joie était de n'être vue de personne. Quoiqu'elle jeûnât une grande partie de l'année, et même qu'elle passât quelquefois deux ou trois jours sans manger, elle faisait néanmoins une telle abstinence pendant le Carême, qu'on eût dit qu'il n'était tout entier qu'un seul jeûne. Malgré ces austérités, elle vécut cependant jusqu'à cinquante ans, sans aucun mal d'estomac, sans douleur d'entrailles, sans ressentir aucun affaiblissement de ses membres, quoiqu'elle reposât toujours sur la dure, et sans que l'âpreté du cilice causât en elle la moindre difformité, mais jouissant d'une santé parfaite et d'une sainteté encore plus abondante. Elle était dans la solitude comme dans un paradis, et elle trouvait, au milieu des troubles de la ville, le repos que les solitaires vont chercher dans les ermitages. Il n'était rien de plus agréable que sa sévérité, ni rien de plus sévère que sa joie. Sa gaieté était triste et sa tristesse charmante. La pâleur qui paraissait sur son visage était un indice de sa pénitence, mais on n'y voyait rien qui ressentit l'ostentation. Ses paroles étaient si bien mesurées, qu'on pouvait dire qu'en parlant elle gardait le silence, et son silence était si judicieux, que d'une certaine manière elle parlait en se taisant. Son marcher était accompagné d'une modestie angélique. Elle était toujours vêtue de la même manière, avec une certaine négligence qui ne tenait rien de l'affectation, et cette même négligence était une propreté chrétienne qui condamnait le luxe et la pompe des personnes du monde. Enfin, par son égalité de vie, elle mérita seule d'être admirée de Rome entière, qui était alors une ville de plaisirs, de luxe et et de magnificence, et où l'humilité passait pour une bassesse d'âme en sorte que les gens de bien donnaient des éloges à sa vertu, et les libertins n'osaient l'attaquer par leurs calomnies ; les veuves la prenaient pour le modèle de leur perfection, les vierges tachaient de l'imiter, les femmes mariées l'honoraient, les débauchés la redoutaient, et les prêtres la considéraient comme une merveille de sainteté. »
Sources :
« Sainte Aselle, vierge romaine », dans Paul Guérin, Les Petits Bollandistes : du 1er décembre au 31 décembre, t. XIV, Paris, Bloud et Barral, 1876, p.92 (en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k307444/f98.item.texteImage)