Dans la province de Rhétie, en la ville d'Augsbourg, la persécution sévissait contre les chrétiens, et on les soumettait tous à divers supplices pour les entraîner à sacrifier. Or il arriva que les persécuteurs saisirent Afra, connue de tout le peuple pour une prostituée. Quand elle eut été amenée au tribunal, le juge l'ayant interrogée, et ayant appris qui elle était, lui dit : « Sacrifie aux dieux ; car pour toi il vaut mieux vivre que mourir dans les tourments. » Afra répondit : « J'ai assez des péchés que j'ai commis lorsque je ne connaissais pas Dieu ; je ne ferai jamais ce que tu m'ordonnes de faire. » Le juge Gaïus lui dit : « Rends-toi au Capitole et sacrifie. » Afra lui répondit : « Mon Capitole est le Christ que j'ai devant les yeux : je lui confesse chaque jour mes crimes et mes péchés ; et comme je suis indigne de lui offrir un sacrifice, je désire me sacrifier moi-même pour son nom, afin que ce corps, dans lequel j'ai péché, soit purifié par les supplices. » Le juge Gaïus dit : « J'apprends que tu es prostituée ; sacrifie, car tu n'as rien de commun avec le Dieu des chrétiens. » Afra répondit : « Mon Seigneur Jésus Christ a dit qu'il était descendu du ciel pour les pécheurs. Ses Évangiles nous attestent qu'une courtisane ayant arrosé ses pieds de larmes, a reçu de lui le pardon ; et que, loin de mépriser jamais les prostituées et les publicains, il a daigné manger avec eux. »
Le juge dit : « Sacrifie, et tes amants te chériront comme ils te chérissaient autrefois, et ils te donneront de grosses sommes d'argent. » Afra répondit : «Je ne recevrai plus cet argent abominable ; celui que j'avais, je l'ai rejeté comme de l'ordure ; car il provenait d'une honteuse origine. Mes frères les pauvres n'ont pas voulu le recevoir d'abord ; mais je les ai suppliés de daigner l'accepter et de prier pour la pécheresse. Si donc j'ai rejeté l'argent que j'avais, comment pourrais-je chercher à acquérir ce que j'ai repoussé loin de moi comme de l'ordure ? » Le juge Gaïus dit : « Le Christ ne te trouve pas digne de lui. C'est une folie d'appeler ton Dieu, celui qui ne te reconnaît pas pour sienne. Une courtisane ne peut porter le nom de chrétienne. » Afra répondit : « Je suis indigne du nom et de la qualité de chrétienne ; mais la miséricorde de Dieu, qui juge selon la bonté qui lui est propre, et non selon les mérites des hommes, a daigné me conférer ce titre. » Le juge Gaïus dit : « Comment sais-tu qu'il te l'a conféré ? » Afra répondit : « Je reconnais que je n'ai pas été rejetée de devant la face du Seigneur, à ce qu'il daigne m'admettre à la glorieuse confession de son saint nom, par laquelle je m'attends à recevoir le pardon de tous mes crimes. » Le juge dit : « Ce sont là des rêveries. Sacrifie plutôt aux dieux, qui t'accorderont ton salut. » Afra répondit : « Mon salut est le Christ, qui, suspendu à la croix, a promis les biens du ciel au larron pénitent. » Le juge Gaïus dit : « Sacrifie, si tu ne veux pas être fouettée en présence de ces amants qui ont vécu honteusement avec toi. » Afra répondit : « Il n'est pour moi d'autre confusion que celle de mes péchés. » Le juge dit : « Sacrifie sans retard ; car c'est une honte pour moi de disputer si longtemps avec toi ; si tu refuses, tu périras. » Afra dit : « C'est là ce que je souhaite, si toutefois je le mérite, afin que cette confession me rende digne de trouver le repos. » Le juge Gaïus dit : « Sacrifie, autrement je te ferai torturer, puis je donnerai l'ordre de te brûler vive. » Afra répondit : « Que ce corps, dans lequel j'ai péché, souffre tous les tourments, je ne souillerai point mon âme par les sacrifices des démons. »
Alors le juge impie dicta la sentence en ces termes : « Nous ordonnons que la courtisane Afra, qui s'est déclarée chrétienne et n'a point voulu participer aux sacrifices, soit brûlée vive. » Aussitôt les exécuteurs l'enlevèrent et la menèrent dans une île du Lech : là ils la dépouillèrent et la lièrent à un poteau. Elle leva alors les yeux au ciel et pria avec larmes, disant : « Seigneur Jésus Christ, Dieu tout-puissant, qui n'êtes pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, à la pénitence ; vous qui, par une parole inviolable et certaine, avez daigné nous promettre qu'à l'heure même où le pécheur se convertira de ses iniquités, vous en perdrez le souvenir ; recevez à cette heure la pénitence de mes souffrances, et par ce feu temporel préparé à mon corps, délivrez-moi de ce feu éternel qui brûle à la fois l'âme et le corps. » Après cette prière, on l'environna de sarments auxquels on mit le feu tout aussitôt. On l'entendit alors qui disait : « Je vous rends grâces, Seigneur Jésus Christ, qui avez daigné m'accepter comme victime pour votre saint nom, vous qui avez été offert sur la croix, unique victime pour le monde entier ; juste pour les injustes, bon pour les méchants, béni pour les maudits, exempt de péché pour tous les pécheurs. Je vous offre mon sacrifice, à vous, ô mon Dieu, qui vivez et régnez avec le Père et le Saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen. » En disant ces paroles, elle rendit l'esprit.
Pendant que la bienheureuse martyre du Christ Afra entrait ainsi au ciel par le triomphe du martyre, Digna, Eunomia et Eutropia, qui avaient été ses servantes, pécheresses comme elle et baptisées avec elle par le saint évêque Narcisse, se tenaient sur le bord du fleuve. Elles supplièrent les exécuteurs qui revenaient de l'île de les y transporter dans leur barque. Ils les y conduisirent, et elles trouvèrent le corps de sainte Afra dans son entier. Un enfant qui était avec elles repassa à la nage, et en porta la nouvelle à Hilaria, mère de la martyre. Celle-ci vint, de nuit, avec les prêtres de Dieu, enleva le corps et le déposa à deux milles d'Augsbourg, dans un sépulcre qu'elle avait fait construire pour elle et pour les siens. Gaïus l'ayant appris, envoya ses gens à ce tombeau, leur disant : « Allez et arrêtez-les. Si elles consentent à sacrifier, vous me les amènerez avec honneur, afin que je les récompense largement ; mais si vous les voyez persister dans leur obstination et refuser toute participation aux sacrifices, remplissez le sépulcre de sarments et d'épines sèches, fermez-le sur elles, puis mettez-y le feu, afin que pas une n'échappe. » Arrivés auprès d'elles, les soldats cherchèrent d'abord à les séduire par de belles promesses, puis à les effrayer par des menaces ; enfin, les voyant fermes dans leur refus de sacrifier, ils remplirent le sépulcre de sarments et d'épines sèches, le fermèrent sur elles, y mirent le feu et partirent. Ainsi il advint que le jour même de l'ensevelissement de sainte Afra, sa mère Hilaria, et Digna, Eutropia et Eunomia, ses servantes selon la chair, mais ses sœurs dans le Christ, reçurent la couronne du martyre ; et que celles qui avaient gardé ensemble la foi de Jésus Christ, arrivèrent aussi ensemble, avec la palme du martyre, à ce même Dieu qui vit et règne avec le Père et le Saint Esprit, dans les siècles. Amen.
Sources :
« Le martyre de sainte Afra » (texte mis en ligne par archimandrite Cassien Braun : http://orthodoxievco.net/ecrits/vies/martyrs/aout/afra.htm)