Saint AUBERT, évêque de Cambrai (669)

  Fête : 13 décembre

L'épiscopat de saint Aubert est un des plus beaux que présente l'histoire des diocèses de Cambrai et d'Arras ; il place incontestablement ce pontife au rang des grands évêques qui brillèrent au VIIe siècle dans le nord du pays des Francs. Par sa position et son caractère, il fut en rapport avec d'illustres personnages et se servit prudemment de leur ministère pour étendre la foi dans les vastes contrées confiées à sa sollicitude pastorale.

Les premières années de saint Aubert sont inconnues. On ne sait même pas quels étaient ses parents, ni dans quel pays il est né. Si l'on en croit certains auteurs, ce fut au village de Haucourt, ou du moins dans un lieu assez rapproché de Cambrai. Dès sa jeunesse il se distingua par une modeste gravité et une sagesse précoce qui lui gagnaient tous les cœurs. Son âme, ennemie de la dissimulation, s'ouvrait à tous les beaux sentiments et recevait avec une sainte avidité les bénédictions et les grâces du ciel. De bonne heure, ces inclinations vertueuses lui ouvrirent les portes du sanctuaire, où il paraissait manifeste que Dieu l'appelait. L'on en fut promptement convaincu quand on vit le jeune clerc, à peine admis à la tonsure, marcher avec ferveur dans les voies de la perfection. Quelques années après, il fut jugé digne d'être promu au sacerdoce, et l'église de Cambrai vit avec bonheur monter à l'autel celui que Dieu destinait à la gouverner bientôt avec sagesse.

En effet, Aldebert ou Ablebert étant mort, les suffrages du clergé et du peuple se portèrent sur l'humble Aubert, à qui cet honneur et cette charge inspiraient les craintes les plus vives. S'il eût consulté les désirs de son cœur, il se fût retiré dans quelque solitude pour y consacrer sa vie à la prière et à la méditation des choses du ciel ; mais il fallut céder et accepter, avec le fardeau de l'épiscopat, les peines et les fatigues qui en sont la condition inséparable. Ce fut le 21 mars de l'an 633 que saint Aubert reçut l'onction sainte des mains de Leudegise, métropolitain de Reims, assisté d'Athole de Laon, et de saint Achaire de Tournai et Noyon. La grâce de l'ordination sembla augmenter encore en lui le désir qu'il avait de marcher sur les traces de Jésus Christ : aussi, en peu de temps, sa réputation de sagesse, de science et de vertu se répandit en tous lieux. Des villes les plus éloignées on venait pour entendre quelques-uns de ses discours ou lui demander des conseils ; et l'église de Cambrai contemplait, avec un légitime orgueil, ce spectacle qui faisait sa gloire et attestait son bonheur. Le roi des Francs lui-même, Dagobert Ier visita saint Aubert dans sa ville épiscopale, et fut aussi touché que satisfait des paroles sages qu'il entendit sortir de sa bouche. Plus d'une fois il revint avec des seigneurs de sa cour, pour recevoir les conseils, les exhortations et peut-être les reproches paternels du pieux évêque. Saint Aubert lui parlait alors « de la vigilance, de la sollicitude qu'il devait apporter dans l'administration de son royaume. Il lui rappelait le bonheur que Dieu réserve à ceux qui auront bien vécu sur la terre, le terrible jugement qui suivra la mort, et les douces espérances de l'éternité que nous devons entretenir dans nos âmes ». Dagobert, charmé de l'entendre, sentait encore augmenter sa joie lorsqu'il voyait le vénérable pontife lever les mains vers le ciel pour appeler sur sa tête royale les bénédictions du Seigneur. Autant pour satisfaire sa pieuse libéralité que pour donner à saint Aubert un témoignage de son affection et de sa reconnaissance, il fit don à l'église de Notre-Dame d'une villa du domaine royal, appelée Onnaing. Il y ajouta ensuite Quaroube, village situé à quelques lieues de Valenciennes.

Au milieu de ces honneurs que sa vertu lui attirait, le digne évêque toujours plein d'humilité, reportait fidèlement à Dieu les hommages qu'il savait n'être dus qu'à lui seul. Rien ne put jamais le détourner de ces sentiments, ni les respects dont Dagobert l'environnait, ni la charge et la dignité dont il était revêtu, ni les œuvres admirables et les miracles qu'il opérait. Un jour même que le peuple, frappé d'un prodige accompli sous ses yeux, éclatait en transports et en cris d'allégresse, il s'efforça, avec une touchante simplicité, de le calmer, ne cessant de répéter que ce n'était point à lui, mais à la seule vertu de Dieu qu'il fallait attribuer ces merveilles.

Par ses oeuvres et ses vertus, saint Aubert s'était rendu extrêmement cher à ses diocésains, et tous aimaient se trouver près de lui, pour jouir de ses entretiens. Les plus puissantes familles lui confiaient leurs enfants, afin qu'il leur inspirât, avec le goût de la science, l'amour de Dieu et la pratique du bien. Parmi ces enfants, on cite en particulier le jeune Landelin, né au village de Vaulx, et que le saint avait tenu lui-même sur les fonts baptismaux. Le jeune adolescent grandissait dans la chaste crainte du Seigneur, sous les yeux de saint Aubert, qui ne négligeait rien pour développer dans son cœur les germes des vertus. Quelque temps il put espérer que le succès couronnerait ses désirs ; mais un jour, Landelin, par imprudence, prêta l'oreille à des paroles perfides, qui le jetèrent dans la voie du vice. Saint Aubert pleura longtemps cet enfant prodigue qui l'avait abandonné. Il adressa au ciel les plus ferventes prières pour que la grâce touchât son cœur et le ramenât à Dieu. Ses vœux furent exaucés ; il eut la consolation de recevoir dans ses bras ce fils tant aimé, que les remords du crime et la crainte des jugements de Dieu rappelaient à la vertu. La vie de Landelin, devenu depuis un grand saint, nous apprend comment le sage pontife sut tourner à l'avantage spirituel de son disciple et de la religion le malheur de ses égarements. Trois voyages à Rome entrepris en esprit de pénitence, quatre célèbres monastères fondés sur les rives de la Sambre, de nombreux missionnaires sortant de ces retraites pour évangéliser les peuples des contrées voisines, des vertus qui firent l'admiration de tout le pays, telles sont les œuvres qui signalèrent le retour à Dieu du fils spirituel de saint Aubert.

A cette consolation succéda celle que lui causa la visite de saint Ghislain d'Athènes, qu'une voix du ciel avait appelé dans ces lieux, où il contribua beaucoup aussi à répandre la foi et à propager la vie religieuse. Arrivé dans un endroit appelé Ursidongus, où s'est formée depuis la ville qui porte son nom, saint Ghislain y jeta les fondements d'un monastère, se proposant d'aller aussitôt rendre ses devoirs à l'évêque du lieu. Mais déjà saint Aubert avait été prévenu par quelques personnes, dont le zèle ne parut pas pur à ses yeux. Du moins profita-t-il du rapport qu'elles lui firent pour leur donner une leçon de charité et de simplicité. Comme elles lui annonçaient qu'un étranger, venu, disait-on, d'un pays lointain, s'établissait dans son diocèse ; que peut-être c'était un faux apôtre, capable de séduire et de tromper la foi des fidèles, le saint évêque leur dit avec sa bonté ordinaire : « Il ne vous appartient pas de juger ainsi un homme qui n'est pas connu, et vous ne devez point vous arrêter à ces pensées avant d'avoir éprouvé si elles viennent de Dieu ». En même temps il envoya un homme de confiance prier saint Ghislain de venir le trouver à Cambrai. Le pontife s'entretint avec lui et ne tarda pas à concevoir pour le vertueux étranger un profond respect et une religieuse affection. Il promit même qu'il irait bénir son église aussitôt qu'elle serait achevée. En effet, à l'époque fixée, il s'y rendit avec saint Amand, son vénérable ami, et tous deux consacrèrent cette nouvelle maison de prière, au milieu d'une multitude de spectateurs. Dans la foule paraissait Mauger, depuis si connu sous le nom de saint Vincent. Ce seigneur fut si touché des exhortations qu'adressèrent à la foule, après la cérémonie, les deux saints évêques, qu'il résolut dès lors de quitter le monde pour se dévouer au service de Dieu. En effet, à quelque temps de là, il alla à Cambrai conférer sur cette importante affaire avec saint Aubert et reçut de ses mains la tonsure après quoi il se retira dans un monastère qu'il fit bâtir sur la colline d'Hautmont. Sainte Vaudru, son épouse, imita son exemple. Elle demanda le voile au saint évêque, puis s'en alla habiter une humble demeure, à Château-Lieu, où s'élève aujourd'hui la ville de Mons. Ce n'était pas la dernière consolation que cette noble famille donnait à l'église : Aldegonde, sœur de sainte Vaudru, apprenant un jour que saint Amand et saint Aubert se trouvaient avec d'autres serviteurs de Dieu dans l'abbaye d'Hautmont, s'y rendit en toute hâte et les pria avec larmes de lui permettre d'embrasser, comme sa sœur, la vie religieuse. Les deux pontifes, après l'avoir interrogée avec soin, accédèrent à sa demande, et lui donnèrent le voile des vierges. Peu après elle fonda, dans un lieu désert et sauvage, sur les rives de la Sambre, un monastère autour duquel s'éleva la ville de Maubeuge.

Ainsi, le vénérable Aubert voyait prospérer la religion, et les institutions chrétiennes se multiplier dans ses deux diocèses, où toutes ces communautés devenaient des moyens de sanctification pour les peuples. Il eut encore la consolation de consacrer l'église du monastère de Marchiennes, où sainte Rictrude s'était retirée avec ses filles après la mort tragique de son époux Adalbaud ; celle de Maroilles, que saint Humbert bâtit au retour de son second voyage à Rome ; et, vraisemblablement aussi, celle de Notre-Dame de Condé, où saint Wasnon, venu de l'Ecosse, annonçait la parole de Dieu. De plus, il favorisa beaucoup ces colonies d'apôtres irlandais, qui parcouraient les vastes diocèses du nord, évangélisant partout les peuples, et fondant souvent des oratoires, des églises ou des monastères, jusque dans les terres les plus éloignées du Hainaut et du Brabant.

Mais en même temps qu'il cherchait, par toutes les saintes industries de son zèle, à former de nouveaux saints pour le ciel, saint Aubert veillait aussi à honorer les reliques de ceux qui déjà jouissaient de la gloire, et dont les restes mortels étaient conservés sur la terre. On dirait que Dieu lui-même, en plusieurs circonstances, se plut à satisfaire ces désirs du saint évêque. Une nuit qu'il était à Arras, où il se rendait à certaines époques pour régler les affaires de cette église, pendant que ses disciples prenaient leur repos, il se leva, selon sa coutume, et se mit à prier jusqu'à l'aurore. Son oraison n'était pas encore achevée, lorsque, sortant de sa demeure, il se transporta sur les remparts de la ville, comme pour y respirer l'air pur du matin. Là une pensée saisit tout à coup son esprit. « II se demandait à lui-même pourquoi le bienheureux Vaast, renfermé si longtemps dans une humble sépulture, ne recevait pas sur la terre l'honneur qui lui était dû, tandis que dans le ciel il était déjà participant des joies de la céleste Jérusalem, où il brillait comme un astre au firmament ». Il commença aussitôt à examiner dans quel lieu il ferait transporter ce corps saint, pour lui rendre les hommages qu'il méritait. Son esprit était tout rempli de ces pensées, lorsque, au lever du soleil, ayant le visage tourné vers l'Orient, il vit, au-delà de la petite rivière appelée le Crinchon, un homme tout brillant de lumière. Une verge dans la main, il mesurait l'emplacement d'une église comme l'ange qu'Ezéchiel, dans une vision prophétique, aperçut mesurant le temple de Jérusalem. A cette vue, saint Aubert comprit que la volonté de Dieu était que le corps de saint Vaast fût transféré dans cet endroit. Il s'empressa d'en donner avis à son vénérable collègue saint Omer, et l'invita à la cérémonie qu'il préparait pour la translation de ces reliques. Malgré son grand âge et ses infirmités, le saint évêque de Thérouanne se rendit avec empressement auprès de saint Aubert, et le félicita de l'heureuse pensée que le ciel lui avait donnée. Une foule immense se réunit ce jour-là dans la ville d'Arras. Lorsque tout fut disposé, on ouvrit le sépulcre, et au chant des hymnes et des cantiques on enleva de ce lieu le précieux dépôt avec le plus profond respect. Quelques parties assez considérables y furent laissées cependant, afin que cette basilique, où saint Vaast avait si souvent célébré les divins mystères et instruit son peuple, ne fût pas entièrement privée de sa présence. A un signal donné on se mit en marche, et la procession se dirigea vers l'endroit indiqué par l'ange du Seigneur.

Saint Aubert eut encore l'occasion de satisfaire sa piété envers les saints, lors de la translation du corps de saint Fursy, abbé du monastère de Lagny, dans l'église de Péronne, qu'avait fait bâtir Erchinoald, maire du palais. Saint Eloi, dans le diocèse duquel se trouvait cette ville, le pria de l'assister dans l'accomplissement de ce pieux ministère. Les deux saints pontifes s'édifièrent mutuellement, durant les jours qu'ils passèrent sous le même toit, s'entretenant ensemble des choses de Dieu et de l'Eglise puis, après s'être donné le baiser fraternel, ils se séparèrent pour se revoir un peu plus tard au ciel.

On ne trouve plus d'autre événement remarquable dans la vie de saint Aubert avant le jour de sa mort, sur laquelle on n'a aucun détail. Elle dut arriver vers l'an 669.


Sources :

« Saint Aubert, évêque de Cambrai et d'Arras », dans Paul Guérin, Les Petits Bollandistes : du 1er décembre au 31 décembre, t. XIV, Paris, Bloud et Barral, 1876, p.247 (en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k307444/f253.item.texteImage)