Ce bienheureux prélat n'est pas venu d'Angleterre en Bretagne, comme la plupart des premiers saints de cette province, mais il était de la Bretagne même et de la province de Cornouaille1. On met sa naissance en 375, où la foi de Jésus Christ, étant devenue maîtresse de l'empire romain, avait déjà pénétré dans les pays les plus barbares de l'Occident et du Nord. Ayant été élevé dans la piété, il embrassa l'état ecclésiastique et fut promu aux ordres sacrés, puis il se retira dans un ermitage de la paroisse de Plomodiern, où Dieu fit de grands miracles pour sa nourriture. Il contracta une étroite amitié avec saint Primaël, qui était aussi un solitaire d'une très grande piété, et il y fit sourdre une fontaine à son ermitage, pour l'exempter d'aller chercher de l'eau dans un endroit fort éloigné. Souvent il nourrit des hôtes qui étaient venus le voir, par des multiplications surnaturelles, trouvant même du poisson où il n'y en avait point auparavant. Entre autres, il fit un festin à un prince, nommé Grallon, et à des chasseurs de sa compagnie, avec un morceau de poisson qui n'aurait pas suffi pour rassasier un de ces hommes affamés. Ce prince, en reconnaissance, lui donna un grand espace de terre, où il bâtit un monastère qui fut bientôt rempli de très saints religieux. Les enfants de qualité y étaient aussi reçus pour être formés aux sciences humaines et à la piété de sorte qu'il servit extrêmement à la bonne éducation de la jeune noblesse de Cornouaille et de Bretagne.
Les seigneurs du pays, charmés de la prudence et de la sainteté de Corentin, prièrent le prince Grallon d'établir un évêché dans son comté et d'en faire nommer Corentin pour premier évêque. Grallon y consentit ; et, ayant fait venir ce saint abbé, il l'envoya vers saint Martin, archevêque de Tours, dont la juridiction s'étendait sur toute la Bretagne, afin de recevoir de lui la consécration épiscopale. Corentin mena avec lui à Tours deux excellents religieux, Vennolé et Tugdin, pour être bénis abbés de deux nouveaux monastères que le prince voulait fonder ; mais saint Martin l'ayant sacré, lui dit que, pour la bénédiction des abbés de son diocèse, c'était à lui à la faire, et l'envoya ainsi gouverner le peuple que la divine Providence lui avait commis. On lui fit une entrée fort magnifique dans Quimper et on lui donna de quoi fonder un chapitre de chanoines pour sa nouvelle cathédrale.
Comme il n'oublia point dans l'épiscopat qu'il était religieux, de même les exercices de la vie solitaire, qu'il continua toujours de pratiquer, ne lui firent point oublier qu'il était évêque. Il visita tout son diocèse, et ordonna de bons ecclésiastiques pour les distribuer dans les paroisses ; il corrigea les abus qui s'étaient glissés parmi les fidèles, il combattit les restes du paganisme et s'acquitta de toutes les autres obligations d'un bon pasteur. Enfin, Dieu le retira de ce monde pour lui donner la couronne de l'immortalité.
Son corps fut enseveli avec beaucoup d'honneur dans son église cathédrale, devant le grand autel, et son convoi fut illustré par plusieurs miracles signalés. Il s'en est fait depuis quantité à son tombeau. Une femme avait promis de présenter de la cire à son église, en reconnaissance d'un insigne bienfait qu'elle avait reçu par son intercession : elle en apporta en effet, mais comme elle était prête à l'offrir, elle retira sa main par avarice et ne l'offrit point. Alors cette même main se ferma si fort qu'il lui fut impossible de l'ouvrir, jusqu'à ce que le saint, ayant égard à ses larmes, lui apparut par deux fois et la guérit de ce mal qu'elle s'était attiré par sa cupidité. Il apparut aussi à un pauvre homme que des malfaiteurs avaient enfermé dans un coffre pour le faire mourir de faim, et le délivra de cette horrible prison en levant la serrure qui la tenait fermée.
1 Mais il est probable que son père était un seigneur Breton, de ceux qui étaient passés de la Grande-Bretagne en Armorique.
Sources :
« Saint Corentin, premier évêque de Quimper », dans Paul Guérin, Les Petits Bollandistes : du 1er décembre au 31 décembre, t. XIV, Paris, Bloud et Barral, 1876, p.208 (en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k307444/f214.item.texteImage)