Saint Géraud, seigneur d'Aurillac, est une exception dans l'hagiographie du Moyen Age : il est devenu saint et a été aussitôt honoré comme tel sans avoir été clerc, évêque, abbé ou ermite, et sans avoir subi le martyre. Il n'a pas joué de rôle important sur la scène politique et seules les archives de son monastère d’Aurillac ont conservé trace de son activité : la lettre de sauvegarde qu'il obtint de Charles le Simple le 3 juin 899, son testament daté de septembre 909. Heureusement la Vie de saint Géraud a été écrite par saint Odon, qui fut abbé d'Aurillac avant d'être abbé de Cluny, il interrogea quatre de ses disciples : ainsi que de nombreux témoins ; il n'y avait pas vingt ans que son héros était mort.
Pour saint Odon le récit de la vie de saint Géraud devait servir de leçon aux seigneurs et aux moines, on y trouve une foule de précisions sur la mentalité féodale telle qu'elle était et telle que les moines de Cluny auraient voulu la rendre.
Géraud naquit à Aurillac vers le milieu du IXème siècle ; son père Géraud et sa mère Adeltrude appartenaient à la plus grande noblesse (on a dit — par saint Odon — qu'ils étaient, apparentés aux Carolingiens) ; la famille s'honorait d'avoir donné à l'Église saint Césaire d'Arles et saint Yrieix. La sainteté de l'enfant aurait été annoncée par deux prodiges : son père aurait vu en songe un grand arbre sortir de son pied droit et, quelques jours avant la naissance, les parents auraient entendu dans le sein de sa mère la voix de celui qui devait si souvent louer la Sainte Trinité.
Comme tous les jeunes nobles, Géraud apprit à conduire les chiens, à tirer à l'arc, à chasser à l’épervier... et son instruction en serait restée là s'il n'était tombé malade : son corps se couvrit de boutons qu'aucun remède ne put faire disparaître et ses parents, désespérant de le voir guérir, lui firent apprendre le chant et la grammaire pour qu'il pût devenir clerc s'il n'était pas capable d'assumer les obligations d'un seigneur. Cependant il se fortifia en grandissant, recommença à manier les armes et réussit si parfaitement qu'il devint capable de toutes les prouesses sans pour autant perdre le goût de l'étude : il pouvait en remontrer à bien des clercs. La mort de ses parents le rendit maître d'immenses domaines.
Un jour, Géraud aperçut une jeune serve qu'il trouva très jolie ; il s'éloigna sans pouvoir l'oublier et cédant à son désir fit annoncer le soir à sa mère qu'il viendrait lui rendre visite : en arrivant il trouva la jeune fille assise devant le feu, mais il ne la reconnut pas. Quand son père la lui présenta, il remarqua ses défauts qui lui avaient d'abord échappé, comprit que c'était une grâce de Dieu et sortit bien vite. Le froid était intense, il resta dehors toute la nuit pour se punir. Puis il demanda aux parents de marier leur fille rapidement et, pour faciliter la chose, lui rendit la liberté et lui donna en dot une petite ferme. Le Seigneur qui avait protégé son serviteur Géraud voulut cependant le punir de son imprudence; il fut atteint de cécité. Très dévoués à leur maître, les serviteurs de Géraud dissimulèrent l’infimité, dont des voisins peu scrupuleux auraient pu abuser. Sans manifester d'impatience, il se laissa soigner et eut la joie de guérir au bout d'un an.
Géraud était de taille moyenne ; très fort et très agile dans sa jeunesse, il perdit ensuite sa souplesse, car il négligeait l'exercice pour s'adonner aux études. Il s'habillait simplement de lin ou de laine, sans affectation de richesse ou de rusticité. N'accomplissant aucune action sans penser à Dieu, il était d'un commerce agréable : il menaçait peu, ne gardait jamais rancune ; s'il ne se laissait pas facilement arracher de faveurs, il ne retirait pas celles qu'il avait accordées : on savait d'ailleurs qu'il réalisait toujours ce qu'il avait décidé, à moins qu'il ne s'aperçût qu'il y aurait eu péché à le faire.
Il avait choisi ses familiers parmi les laïques honnêtes et les clercs de bon renom et avait organisé la vie de son entourage d'une manière quasi monacale : on récitait l'office en commun et on assistait ordinairement à une messe célébrée après laudes. Un dimanche Géraud s'était mis en route de grand matin, pensant assister à la messe après le plaid (en vieux français terme désignant la justice rendue par le seigneur des lieux), mais par suite d'un contretemps ce fut impossible ; fort contrarié, il rassembla les clercs, leur déclara qu'il ne fallait pas passer ce saint jour sans louer Dieu et récita avec eux le psautier entier : il en fut si content qu'il recommença presque chaque jour. Géraud se contentait d'un repas par jour, sauf pendant les chaleurs où il s'accordait une légère réfection le soir ; non content des prescriptions communes, il gardait l'abstinence trois jours par semaine.
Géraud avait des voisins plus remuants, mais Dieu le protégeait : le comte de Turenne, Geoffroy, venant ravager ses terres, se blessa de son épée et rentra en hâte. Plus tenace, le comte Adémar essaya à plusieurs reprises de soumettre le seigneur d'Aurillac ; ses propositions de vassalité ayant été repoussées, il voulut l'enlever une nuit où il dormait dans un pré avec une faible escorte : ses recherches furent vaines. Il occupa alors par surprise un de ses châteaux ; Géraud vint avec une petite troupe pour le reconquérir ; Adémar arriva à sa rencontre avec une véritable armée et envoya des éclaireurs pour estimer les forces de son adversaire ; dans la nuit, ils crurent voir des tentes innombrables : c'étaient des rochers blanchâtres qu'ils avaient pris pour des tentes ; aussi Adémar se replia et les gardiens du château, privés de secours, se rendirent sans combat à Géraud, qui veilla lui-même à les laisser sortir indemnes. Le frère d'Adémar, Adalelme, fut encore plus audacieux; il envahit par surprise la citadelle d'Aurillac, mais n'osa s'y maintenir et se retira en emportant tout ce qu'il put : peu après il renvoya tout en sollicitant son pardon. Son-repentir était si peu sincère qu'il voulut recommencer son exploit ; cette fois les sentinelles donnèrent l'éveil, fermèrent les portes et allèrent prévenir Géraud qui assistait à la messe ; il ne se dérangea pas avant la fin, puis se rendit au rempart en chantant un psaume. Les soldats d'Adalelme n'avaient trouvé que sept chevaux en parcourant les alentours et partirent honteux. Ils perdirent bientôt plus de soixante chevaux, et Adalelme mourut quatorze jours plus tard, pendant qu'une tempête arrachait le toit de sa demeure.
Quand il ne pouvait apaiser une discorde, il faisait dire des messes pour obtenir de Dieu ce qui était impossible aux hommes. Saint Odon insiste sur l'usage des moyens pacifiques : la paix vaut mieux que la poursuite acerbe de la justice et, même quand il est nécessaire de recourir à la force, il est souvent préférable de ne pas écraser l'adversaire. Après avoir averti à plusieurs reprises Arlaldus de Saint-Céré, petit seigneur brigand, Géraud lança une expédition contre lui et put le saisir sans qu'aucun homme n’ait été tué. Il se contenta d'une semonce : « Tu n'es pas le plus fort, cesse de faire le mal; je te relâche sans te demander ni otage, ni serment, ni réparation ». Cette mansuétude n'est pas opposée à la justice. Saint Odon peut donner Géraud en exemple ; il n'acceptait jamais rien des plaideurs et allait toujours à jeun au plaid, ce qui n'était pas la règle chez les seigneurs. Au plaid qui se réunissait chaque dimanche, on condamnait facilement à la peine de mort et les jugements étaient sans appel.
Quand les prévenus étaient des criminels endurcis, Géraud ne reculait pas devant la pendaison ou le fer rouge, mais, s'ils avaient failli occasionnellement, il cherchait à les sauver : une fois, il charge deux accusés d'aller eux-mêmes couper dans la forêt les lianes qui serviront à les pendre ; il favorise l'évasion d'un autre qui avait arraché les yeux d'un prêtre, lui donne des vivres et des chaussures, et s'excuse en disant que le prêtre avait depuis longtemps pardonné ; il avait lui-même encouragé ]a victime à la patience et pour ne pas se payer de mots lui avait attribué les revenus d'une église. Son intervention était souvent tardive, car ses soldats, craignant chez lui un excès d'indulgence, appliquaient eux-mêmes les sanctions : des brigands qui hantaient une forêt furent saisis et eurent aussitôt les yeux arrachés ; un pauvre paysan qui se trouvait parmi eux subit leur sort et se réfugia dans le Toulousain ; longtemps après, Géraud apprit son malheur, lui fit porter ses excuses et cent sous.
Et le justicier allait jusqu'à la bonhomie souriante quand surprenant dans sa tente un voleur faisant main basse sur un coussin, il l'invitait à se sauver bien vite avec. On lui reprochait de se laisser berner par les gens du peuple et les serfs ; il remettait facilement, quoi qu'on en ait dit, non seulement les redevances, mais même la taxe personnelle, et s'il lui arrivait de rencontrer un de ses anciens serfs qui avaient déguerpi sans autorisation, il refusait de le contraindre à rentrer quand il avait pu améliorer sa situation, taisait son ancienne condition et même quelquefois lui faisait un petit cadeau. Cette conduite méritait d'être citée en exemple autant que ses scrupules d'honnête homme : non content de payer les dommages réclamés par un paysan, un jour où ses serviteurs dressant la table sous des cerisiers avaient mangé toutes les cerises qu'ils avaient pu atteindre et même cassé des branches, il alla de lui-même interroger un homme qui venait de donner des pois à son escorte pour savoir s'ils ne lui avaient pas été dérobés. Rencontrant des marchands vénitiens près de Pavie, il leur montra un manteau qu'il avait acheté à Rome et s'informa de sa valeur ; l'estimation étant bien supérieure au prix qu'il avait payé, il chargea des pèlerins de porter la différence.
Cette justice s'épanouissait dans une charité simple et constante : il y avait toujours des vêtements, des chaussures et de l'argent à la disposition de ceux qui se présentaient, et Géraud goûtait la nourriture et la boisson que ses serviteurs distribuaient aux pauvres. Rencontrant une femme conduisant la charrue, il s'étonna de la voir travailler comme un homme. Elle lui répondit que son mari était malade depuis longtemps et qu'il ne fallait pas laisser passer le temps des semailles : Géraud lui donna assez d'argent pour louer les services d'un domestique.
Non loin de Rome, il trouva un Berrichon qui s'était cassé la hanche et, abandonné par ses compagnons de pèlerinage, était resté seul avec sa femme. Géraud le prit sous sa protection, le ramena jusqu'à Brive et lui donna dux sous pour lui permettre de rentrer chez lui.
Géraud fréquentait peu les seigneurs, évitait les réunions tapageuses, mais n'hésitait pas à se mettre en route pour aller en pèlerinage aux tombeaux de saint Martial ou de saint Martin et surtout à ceux des apôtres. Ses nombreux pèlerinages à Rome — il aurait voulu s'y rendre tous les deux ans et y alla au moins sept fois — étaient marqués par ses générosités envers les pauvres et les monastères. Aussi on s'informait de sa venue auprès des passeurs du Mont-Joux (le Petit-Saint-Bernard) rien n'était plus fructueux que de transporter ses bagages.
L'Église bénéficiait naturellement de cette inépuisable charité. Pour dépasser les pharisiens, il donnait la neuvième partie de tous ses revenus, quand des paysans ou des clercs lui offraient des cierges de cire, il les mettait toujours devant les autels ou les reliques, même s'il devait se contenter pour s'éclairer de torches de sapin.
Cependant Géraud ne put réaliser le grand désir de sa vie, il aurait volontiers abandonné ses domaines et son autorité pour prendre l'habit monastique et donner tous ses biens à Saint-Pierre de Rome. Il demanda conseil à l'évêque Gausbert, qui lui conseilla de rester laïque pour le bien de ses sujets. Néanmoins il lui conféra secrètement la tonsure monastique. Géraud coupa sa barbe sous prétexte de commodité et porta la tonsure, qu'il dissimulait facilement parce qu'il avait l'occiput passablement dégarni et qu'il gardait habituellement sa tiare de comte. Pour rapprocher son costume de celui des clercs, il ne s'habillait plus comme eux que de lin ou de fourrures. Selon les prescriptions canoniques, il refusa de prendre les armes désormais et se contenta de faire porter son épée devant lui quand il se déplaçait.
Lors de l'un de ses pèlerinages à Rome, Géraud donna à saint Pierre Aurillac avec des dépendances assurant des revenus suffisants pour nourrir des moines et s'engagea à payer un cens annuel. A son retour, Géraud commença la construction d'une nouvelle église — il y avait déjà à Aurillac une église dédiée à saint Clément — mais les murs s'écroulèrent. Pendant le carême suivant, Géraud reprit son projet sur un autre emplacement. La nouvelle église placée sous le vocable de saint Pierre, de dimensions modestes, Pour peupler le nouveau monastère, Géraud envoya des jeunes gens à Vabres se former à la discipline monastique ; à leur retour il en choisit un pour abbé, mais ils oublièrent vite les leçons qu'ils avaient reçues, l'abbé comme les autres, et Géraud se résigna à le garder parce qu'il n'avait personne pour le remplacer. Géraud devait se réfugier en Dieu faute de pouvoir trouver des compagnons dignes de lui et cette situation devait lui être fort pénible.
La date exacte de la fondation de l'abbaye d'Aurillac est inconnue : elle se place aux environs de 890. Géraud envoya à Charles III le Simple quelques moines qui, avec la protection du duc d'Aquitaine Guillaume le Pieux, obtinrent pour leur monastère un diplôme d'immunité daté de Tours-sur-Marne, le 2 juin 899 : placés sous le mainbour du roi, les moines étaient dégagés de l'obéissance à tout pouvoir, si ce n'est à Géraud et à sa sœur.
Saint Odon groupe à la fin de son récit tous les miracles de son héros. Peut-être faut-il en conclure qu'ils furent particulièrement nombreux à la fin de sa vie. Ils lui assurèrent dès son vivant un renom de thaumaturge. L'eau dans laquelle il s'était lavé les mains faisait des miracles : elle guérit un jeune boiteux, apprenti chez un artisan près d'Aurillac, un enfant aveugle près de Solignac, une femme aveugle et un certain Herloard de Capdenac qui s'était cassé le genou et avait été si malade qu'il n'avait rien pu manger pendant six jours. Géraud n'aimait pas la publicité et ordonnait de jeter l'eau dont il s'était servi. Naturellement ses serviteurs lui désobéissaient. L'un d'eux, Rabbaldus, en donna à une aveugle qui fut guérie, mais quand Géraud l'apprit il le chassa ; on lui fit remarquer que ce n'était pas charitable et, humblement Géraud revint sur sa décision ; il reprit Rabbaldus à son service et donna douze pièces de monnaie à la miraculée.
Ne voulant ni céder à la vanité, ni manquer à la charité, il essayait de faire des miracles en secret : à Sutri, il fait venir un aveugle dans sa tente pour lui donner de l'eau dans laquelle il s'était lavé les mains ; près d'Abricola, il cède aux instances d'un aveugle, qui dès qu'il commence à voir s'écrie : « Saint Géraud, saint Géraud! » ; le comte alors presse sa mule, abandonnant ses compagnons de route. Quelquefois les guérisons sont produites de façon différente : à Caturières de l'eau bénite fait disparaître la plaie qu'une femme avait à la main ; près d'Argentac, sur un simple signe de croix, une servante épileptique crache du sang vicié et est guérie.
Peut-être ses compagnons considéraient-ils comme des prodiges d'heureux hasards : à Aoste, un voleur qui avait enlevé deux chevaux de somme ne put leur faire passer la rivière et fut rejoint par les gens du comte, qui ne l'inquiéta pas ; un dimanche, près d'Abricola, il rencontra un homme monté sur un cheval qu'il avait perdu, reprit le cheval, mais laissa le cavalier s'en aller. Miracles ou hasards, ces incidents sont assez révélateurs de la sécurité des routes à cette époque.
Que nous importe aussi de savoir s'il y a eu de vrais miracles chaque fois que Géraud put donner à manger ou à boire à ses compagnons : l'essentiel n'est-il pas de le voir heureux de les bien servir ? Le moine Aribert, qui ne rompait jamais l'abstinence, allait se contenter d'un morceau de pain, quand un serviteur en allant puiser de l'eau ramena un poisson qui se révéla excellent et dont tous voulurent goûter comme à une eulogie après que le bon moine eut été rassasié.
Un jour d'Assomption, il ne restait que de la viande salée, quand un cerf se précipita haut des rochers et les serviteurs n'eurent plus qu'à le préparer. Une autre fois, le poisson manquait alors que l'on passait près de l'Aveyron : un gros poisson allât s'offrir de lui-même. Plus heureux encore dut être le curé de Saint-Georges, près du monastère de Priât, chez lequel Géraud qui l'aimait beaucoup arriva impromptu ; le bon curé ne voulait pas le laisser partir à jeun, mais il n'avait chez lui que du pain et du vin : « Ne te fatigue pas, lui dit Géraud, c'est jour d'abstinence et, puisqu'il y a peu de mets, nous en profiterons pour manger moins. » Et le curé, en cherchant du fromage et des œufs, eut l'heureuse surprise de trouver dans un plat un poisson dont la provenance resta toujours inconnue.
L'étonnement de Géraud lui-même fut grand lorsque, revenant de Turin à Lyon, alors qu'il se trouvait sur le versant occidental des Alpes, dans une région désertique dévastée par les Sarrasins, où l'eau même manquait, un clerc vint lui annoncer qu'il avait trouvé dans un trou un liquide qui ressemblait à du vin. « Plût au ciel que tu aies vu de l'eau ! » lui répondit-il. Mais quand il eut vu ce liquide extraordinaire, il le fît exorciser et, rendant grâces à Dieu, en but et ordonna d'en donner à tous, mais en défendant d'en emporter.
On racontait aussi que Géraud avait un pouvoir quasi surnaturel : voyant, un certain Adoaldus qui sautait sur un très haut rocher, il fit un signe de croix qui suffit à l'empêcher de recommencer cet exploit diabolique. Il connaissait les événements à distance ; c'est ainsi qu'alors qu'il était en Italie il sut que Girbaldus était mort au pays et fit aussitôt réciter des psaumes pour lui ; au retour on constata que Géraud avait entendu sa voix au jour même de sa mort.
Mieux encore, Géraud agissait à distance : le comte Raymond retenait prisonnier le vicomte de Toulouse, Benoît, neveu de Géraud. Son frère Rainaud s'offrit comme otage à sa place. Sur les instances de sa sœur, Géraud essaya de le faire relâcher, mais au bout de sept mois Raymond le gardait encore, espérant même capturer de nouveau Benoît. Géraud envoya l'abbé Rodulfe : il n'eut aucun succès. La nuit suivante. Raymond vit Géraud se tenir près de son lit, le toucher de la main et le menacer des pires malheurs s'il ne relâchait pas son neveu. Terrorisé, Raymond envoya chercher Rodulfe, lui raconta sa vision, le supplia de le réconcilier avec Géraud et relâcha son prisonnier.
Cependant Géraud vieillissait et ses forces diminuaient. Il souffrait toujours de ne pas avoir trouvé de moines assez dignes mais il préparait tout avec confiance pour ceux qui viendraient. Sept ans avant sa naissance au Ciel (en 902), il redevint aveugle définitivement et il passa désormais son temps à prier ou à entendre de saintes lectures. Il eut encore une grande joie : deux ans avant sa mort, en 907, il fit dédier l'église du monastère d'Aurillac, bien pourvue de reliques, entre autres d'une dent de saint Martial et de reliques de saint Hilaire et de saint Martin. On a retrouvé récemment sous l'église actuelle les fondations de celle de saint Géraud, beaucoup moins vaste.
En septembre 909, Géraud sentant venir la mort dicta son testament que nous possédons encore : la plus belle part de ses domaines revenait aux moines d'Aurillac ; ses proches, spécialement son neveu Rainaud, ses soldats et ses serviteurs obtenaient aussi des legs, la plupart en viager, avec l'obligation de les transmettre au monastère d'Aurillac. Géraud, qui avait donné la liberté à de très nombreux serfs durant sa vie, la rendit à cent autres, chiffre maximum fixé par la loi encore en vigueur en Auvergne.
Géraud tomba malade à Saiut-Cirgues, près de Figeac. Il sentit que c'était la fin et fit venir l’évêque Amblard pour l'assister. De nombreux clercs et des nobles accoururent à son chevet. Le vendredi 13 octobre 909, il voulut psalmodier l'office avec ses chapelains et put y prendre part. A la fin de complies, il fit un signe de croix, se tut et ferma les yeux. Les assistants allèrent vite chercher l'évêque, déposèrent le moribond sur un cilice et, pendant que les clercs récitaient les psaumes de l'agonie, un prêtre célébra la messe pour lui donner le viatique : certains pensaient que Géraud était déjà mort, mais il ouvrit les yeux, reçut le corps du Seigneur et son âme monta aux cieux.
Le dimanche suivant, le cortège funèbre partit pour Aurillac et sur la route eurent lieu les premiers miracles. Le corps du comte fut déposé dans un sarcophage de pierre, qui fut placé dans la crypte du côté de l'Evangile. Des prodiges confirmèrent sa renommée de sainteté : une pelouse circulaire se forma devant la crypte et grandit d'année en année ; un clerc de Rodez vît saint Pierre, saint André, saint Paul et saint Martial faire l'éloge de Géraud : « Il a pu faire le mal et ne l'a pas fait », et le conduire au ciel en chantant le Te Deum. Sept ans après la mort du comte, un clerc limousin demanda aux moines si son sarcophage continuait à s'élever ; les moines, surpris, ôtèrent le voile qui le recouvrait et virent en effet qu'il n'était plus enterré jusqu'au couvercle, et cette élévation lente continua par la suite.
Les miracles de Géraud lui valurent aussitôt une réputation de sainteté que la biographie écrite par saint Odon affermit et propagea. Les bâtiments monastiques d'Aurillac devinrent insuffisants et l'église ne pouvait plus recevoir la foule des pèlerins. L'abbaye eut une grande influence, compta au nombre de ses moines l'illustre Gerbert, devenu le pape Sylvestre II, mais connut ensuite le déclin et fut sécularisée en 1562. L'église, reconstruite maintes fois, fut saccagée par les protestants en 1569.
La diffusion de la fête de saint Géraud dans l'ordre clunisien est certainement très ancienne : bien qu'il ne soit pas certain qu'elle remonte au temps de saint Odon, on peut penser qu'elle était déjà célébrée au Xe siècle. Sa diffusion fut très rapide, puisqu'on la trouve dès le Xe siècle dans divers calendriers ; elle fut adoptée dans la plupart des diocèses de France et au-delà.
Sources :
« Saint Géraud ou Gérault d'Auvergne, comte d'Aurillac et confesseur », dans Paul Guérin, Les Petits Bollandistes : du 3 octobre au 27 octobre, t. XII, Paris, Bloud et Barral, 1876, p.309 (en ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k30742f/f315.item)